un métier: cheminot

Les photographies, les récits, tout ce qui concerne le chemin de fer ancien.

Messagepar X3876
15 Déc 2017, 17:46

Alain a terminé sa carrière comme cadre en mars 2011 (sous mes ordres, le monde est petit) . Il s'occupait des matériels à voies métriques (Blanc-Argent, St Gervais, Train Jaune). Deux jours avant sa retraite, nous étions coincés tout les deux sous la neige à St Gervais, au milieu des Z600/800 et 850 :siffle:
Eric Bruet est toujours aux Ateliers de Nevers Machine et pardon, Technicentre Industriel de Nevers en € :ange:
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard Bayle
16 Déc 2017, 08:52

Bonjour,

Le TGV 001.

Les cinq caisses du TGV 001 avaient été découplées aux Ateliers de Bischheim, mises sur tréteaux et débarrassées de leurs liaisons mécaniques d’origine. Elles avaient reçu de nouveaux anneaux porteurs qui furent réalisés par les Ateliers du Mans. D’ailleurs, un dessinateur confirmé du bureau d’études de cet établissement sarthois était venu en renfort dans nos bureaux parisiens pour être bien au fait de cette nouvelle étude et ainsi assurer le suivi de la construction. Je l'avais déjà rencontré lorsque j'avais effectué mes stages d'attaché au grand centre autorail manceau. Le département des bogies avait commandé six bogies porteurs de type Y231 pour le TGV 001, appelé à présent TGV 001 A (A pour Atlantique). Claude Sery ne participait plus de près à ce projet en tant qu’ensemblier car on lui avait confié la section en charge de l’expertise des suspensions, des amortisseurs, des rotules, et des pièces composite métal/caoutchouc. Il avait donc assuré, en particulier, le suivi du développement des membranes pneumatiques avec Continental et des amortisseurs avec Koni, en fonction de l’évolution des besoins de la SNCF. Claude traitait aussi la protection des membranes et la mise au point de leur piètement pour une tenue en service optimale. A ce titre, il restait notre interlocuteur privilégié.

Mon nouvel associé pour les études d’ensembles et de montages était Fabrice Paillat : sa mission consistait à concevoir les différentes sellettes d’adaptation des ressorts métalliques sur les longerons des bogies extrêmes et intermédiaires. La mienne consistait à concevoir le soudage des nouveaux anneaux sur les dossiers de caisse, la redéfinition des butées de rotation, les diverses liaisons caisse-bogie, le lestage des motrices suite à la dépose des groupes bi-turbo, les nouvelles conduites pneumatiques et à réaliser tous les dessins d’intégration des nouveaux équipements. Le lestage des motrices avait été réalisé par des coupons de rail entrés dans le compartiment moteur grâce à la dépose de la toiture (8 tonnes) et dans la cabine par la trappe d'évacuation de secours (2 tonnes). Tous ces coupons avaient été soudés entre eux afin qu'ils ne "bougent" pas. Les Ateliers de Bischheim avaient pris en charge l’étude de l’implantation d’un groupe électrogène de 250 kVA (récupéré sur un fourgon générateur stationné à Nancy) dans la motrice 2, du groupe électrogène de 10 kVA pour les sections d’essais dans la motrice 1, des attelages automatiques compatibles des rames TGV-PSE, du nouveau schéma électrique et du système de freinage.

Finalement, cette réutilisation du TGV 001 avait nécessité d’importants travaux. A l’occasion, la rame avait reçu une livrée à base de blanc 703, de bleu TEN 207 et de chamois 432 : c’était la livrée pressentie pour les futures rames TGV A suivant une proposition originale de Jacques Cooper. Une fois la rame assemblée, celle-ci reposait entièrement sur des suspensions métalliques capables d’un plan haut et d’un plan bas (excepté les bogies extrêmes évidemment) obtenu par la modularité de l’empilage des ressorts et de leurs pièces d’adaptation sous les potences d’anneaux et sur les longerons de bogies. La traction du TGV 001 A démotorisé était confiée à la rame TGV PSE n° 10 dont la puissance avait été « boostée » par l’implantation de composants précédemment utilisés sur la rame n° 16 lors de son record de vitesse à 380 km/h. Cet attelage a réalisé un nombre conséquent de marches à 160 km/h sur lignes classiques, à 300 km/h et plus sur LGV (parfois 320 km/h) et à 120 km/h sur le difficile parcours entre Montereau et Melun via Héricy (V+10 km/h de la vitesse de la ligne).

Voir en page 7 quelques photos du TGV 001A et en page 55 les dessins du montage de ses suspensions.

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Re:

Messagepar Bernard Bayle
16 Déc 2017, 10:11

X3876 a écrit: ....le monde est petit.....

Le monde est petit ou les cheminots forment une grande famille ?
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard Bayle
19 Déc 2017, 17:02

Bonsoir,

La fin soudaine du TGV 001 A

Malgré de nombreuses configurations testées sur ressorts métalliques, le confort n’était pas mauvais, mais ce n’était pas encore ça ! Donc, nous avions adapté une suspension pneumatique au TGV 001A, toujours à quatre ressorts par caisse. Parmi toutes les solutions imaginées et testées, il y eut un épisode symptomatique de cette volonté obsessionnelle de trouver au point qu’on essayait tous azimuts malgré les faibles chances d’aboutir, voire même avec un échec à la clé plus que probable : ce fut la suspension dite "Mickey". Cette suspension, née de la recherche de la plus grande souplesse transversale possible, avait consisté à monter deux membranes tête-bêche par appui de suspension. Sur la planche à dessins, la représentation en coupe transversale faisait penser aux oreilles de la célèbre souris. On l’a supposée instable ; on l’a montée à poste fixe sur une remorque du TGV 001A : conformément aux attentes, elle était instable ! La remorque ne pouvait rester centrée au-dessus du bogie, elle partait immédiatement en butées transversales. D’une simple poussée de la main, la caisse de 20 tonnes partait sur les butées transversales opposées….

Nous avions donc réalisé un montage plus classique en plan haut (du style TGV postal ou des expériences engagées précédemment sur la rame TGV PSE n°10). A cette occasion, la remorque R15 avait été incorporée dans le prototype. Pour cela, deux nouveaux anneaux porteurs avaient été confectionnés par les ateliers du Mans. Contrairement aux anneaux du TGV 001A soudés aux dossiers des caisses, l’un d’eux fut monté par boulonnage coté extrémité portée (en lieu et place de l’anneau fixe de série des TGV PSE) et l’autre fut monté classiquement par son crochet d’attelage coté extrémité porteuse. Afin de supprimer tout degré de liberté entre l’anneau porteur et le dossier de caisse, les blocs sandwich furent court-circuités par des tendeurs d’attelage. Ce fut une solution ferroviaire rustique, mais efficace et surtout ménageant le retour à la disposition d’origine de la R15. Le but recherché était double : d’une part comparer le mode vibratoire de structures de caisses différentes (malgré une filiation extérieure évidente, l’ossature de caisse type TGV 001 est sensiblement différente de celles des rames de série) reposant sur un même type de suspension et d’autre part d’apprécier le niveau de confort si une suspension à quatre ressorts pneumatiques avait du être appliquée au TGV A et au TGV PSE par rétrofit.

Dès la première circulation, le sourire s’est affiché enfin sur toutes les figures des ingénieurs et des techniciens impliqués dans ces recherches. On retrouvait les 40 heures de confort enregistrées sur la R 15 isolée, et ce coup-ci même à 300 km/h. Je me souviens d’une marche où, assis en face de Gérard Coget (le Chef du Département Constructions), j’avais posé au plancher une pièce de 10 Francs sur la tranche : celle-ci n’est tombée qu’après avoir parcouru 108 km sur LGV à 300 km/h ! Le TGV 001A "volait" au-dessus de la voie… Durant la marche de retour vers Villeneuve, il fut décidé d’interrompre les essais le temps de changer tous les essieux aux profils de roues neufs du TGV 001A par des essieux de TGV PSE retirés du service et dont les profils de roues étaient usés.

Après cette opération, ce fut reparti pour les marches d’essais. Après l’entrée sur LGV, la vitesse monte autant que l’enthousiasme descend. Les craintes sont plus que confirmées : avec ses roues à limite d’usure la rame est totalement instable avec pour corolaire un niveau de confort inacceptable. Le confort vibratoire aux fréquences hautes était inchangé, donc bon, par contre la rame subissait des mouvements de lacet, de roulis et de tamis en basse fréquence. La marche du retour ne fit que confirmer cette déception supplémentaire. Ce fut aussi la dernière circulation qui mit un point définitif à la carrière de ce formidable prototype que fut le TGV 001. Qu’il fut autonome ou tracté, il avait amplement rempli sa mission qui était de confirmer ce qu’il fallait faire mais aussi d'apprendre ce qu’il fallait éviter de faire.

C'est avec regret que Fabrice et moi avions du abandonner le TGV 001A, d'une part, à cause du nombre d'heures passées à la planche à dessiner ces innombrables versions de suspensions et, d'autre part, parce que nous avions participé à toutes ses circulations (essais et rotations diverses) du fait que nous étions les seuls à en connaitre la technologie (aucun document technique ou notices de dépannage ou de relevage n'avaient été établis). Mais bon, nous avions aménagé une kitchenette dans le compartiment à bagages de la M1 et nous avions aussi aménagé un couchage dans la remorque 2…

Enfin, pour la "petite histoire", la composition de la rame avait été légèrement remaniée, ça donnait : Motrice 1 + Remorque labo + Remorque de 1ère classe + Remorque de 2ème classe + Motrice 2 (M1+RL+R1+R2+M2). Et pour être complet, la remorque de 1ère classe était équipée d'environ 1/3 de sièges d'origine TGV 001, 1/3 de sièges TGV PSE de 1ère classe et 1/3 de sièges de TGV PSE de 2ème classe afin de comparer également le confort au niveau des sièges.



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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard Bayle
20 Déc 2017, 07:48

Bonjour,

J'ai effectué quelques recherches sur Internet pour trouver des photos du TGV 001A qui seraient venues en complément de celles (rares) que je possède dans mes archives. Et, je suis tombé là-dessus !








Il s'agit de photos retraçant la restauration de l'une des deux motrices du turbotrain, celle exposée à Belfort. J'ai noté que les teintes sont fausses, ce sont celles des TGV PSE d'origine, et leurs délimitations aussi ! Quant à la plaque frontale et aux inscriptions latérales, je préfère m'abstenir et puis, les bogies étaient noirs et non pas gris.
Il m'est arrivé de lire sur un autre forum que tous les matériels ou presque, restaurés par la SNCF et exposés à le Cité du Train de Mulhouse, étaient nuls tellement ils recelaient d'inexactitudes (ce qui n'est pas que faux…..)
Par contre, que le constructeur du turbotrain commette une telle m**de et en soit fier, j'ai du mal à comprendre :
- il doit bien y avoir les dessins de construction quelque part chez lui.
- Jacques Cooper (le designer salarié d'Alsthom à l'époque) est toujours vivant, de plus c'est un Monsieur très abordable qui aurait pu être consulté.
- il y a aussi des anciens (SNCF ou Alsthom) qui savent.
- ce ne sont pas les photos d'origine qui manquent pour voir que ça ne va pas !
Franchement, je m'attendais à retrouver ça (voir ci-dessous).




Il y a à peine quelques semaines, j'ai été questionné pour la même opération, à savoir repeindre l'autre motrice, celle exposée à Bischheim au bord de l'autoroute A4. J'ai commencé à ébaucher une réponse en recherchant dessins et échantillons de teintes, j'étais éventuellement disposé à me rendre en Alsace, à Bischheim pour en discuter. Mon interlocuteur, un pote toujours en activité au CIM (Centre d'Ingénierie du Mans) m'a dit que les responsables SNCF de cette affaire se rapprocheraient de ceux d'Alstom pour une application identique. Mal barré !
Décidemment, question patrimoine ferroviaire, la France a de gros soucis.
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard Bayle
21 Déc 2017, 08:09

Bonjour,

On pose tout et on recommence

L’histoire ne pouvait s’arrêter là, car le problème du confort des TGV PSE restait entier. Tous les espoirs se placèrent à nouveau sur la seule rame PSE n°10. Durant toutes ces marches d’essais aux multiples configurations, plusieurs enseignements avaient commencé à émerger en ce qui concerne le type de membranes et le tarage des amortisseurs qui convenaient le mieux. Les essais reprirent sur la moitié de la rame 10 (toujours sur les bogies des remorques R1 à R4) et à présent seulement en plan bas, laquelle position avait toujours donné les meilleurs résultats (pour ne pas dire les moins mauvais) et avec adjonction de barres de torsion antiroulis. Mr. Jean Dupuy, Directeur Général de la SNCF, suivant de près l’évolution du confort des TGV, vint un jour en visite à bord de la rame 10 pour faire le point sur l’avancement de nos travaux.

Bien évidemment, le Chef de projet et tous les Chefs de Départements et leurs adjoints concernés (essais, bogies, caisses et structures) étaient présents à bord, y compris mon comparse Fabrice et moi. Visiblement contrarié par la présentation d’un imbroglio de résultats en comparant la demi-rame X équipée de membranes A et d’amortisseurs Z avec la demi-rame Y équipée de membranes B et d’amortisseurs W qui font qu’elle se comporte mieux dans un sens que dans l’autre etc., il finit par déclarer à ses ingénieurs "Messieurs, j’en ai marre de vos bouts de rame". Depuis ce jour-là, toutes les nouvelles configurations essayées se sont faites sur une rame complète, à l’exception des bogies extrêmes, toujours en suspension métallique.

Un jour, François Lacôte vint me rendre visite à ma planche et me demanda : "pourriez-vous installer des amortisseurs longitudinaux reliant les caisses en haut et en bas " ? Ma réponse fut instantanée : "oui, ça doit être possible". L’idée était de supprimer les amortisseurs verticaux et transversaux de liaison caisse-bogie traditionnels, se comportant en shunts vibratoires, et de les remplacer par des amortisseurs caisse-caisse qui en feraient une rame auto-amortie sans faire transiter les amortissements par le bogie générateur des vibrations. Seuls les indispensables amortisseurs antilacet ont été conservés entre caisse et bogie. Cela revenait à retourner le handicap de la rame articulée à son avantage (handicap évoqué plus haut - dit effet de rame - attendu que les modes vibratoires de chaque véhicule se transmettent aux autres via les rotules d'articulation de la rame). Cette disposition réalisée et installée sur tout le tronçon articulé allait donner des résultats très encourageants.

Au cours des marches d’essais, un dernier problème demandait à être amélioré : la souplesse des membranes. Celles que nous utilisions étaient associées à un réservoir normalisé d’une contenance de 108 litres, en conformité aux prescriptions du service des Mines, et logé dans une structure tubulaire supportant la charge. Une augmentation de ce volume d’air serait favorable à l’assouplissement de la suspension. Lors d’une réunion à Bischheim, François Lacôte me demanda : "où pourriez-vous trouver de l’air" ? Je lui répondis : "nous mettons une boite étanche dans une boite non étanche. Si nous étanchons la boite extérieure (la structure portante) nous passerons de 108 à 170 litres d’air. Ce n’est pas conforme aux normes, mais pour un train d'essai, on peut toujours y aller ! Nous les nommerons "les réservoirs structuraux ".
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Challenger60
21 Déc 2017, 17:24

P-A-S-S-I-O-N-N-A-N-T !!!!!!!!!! :cool: :cool: :cool: :cool:

Tu ne vas pas y couper Bernard, il va falloir rassembler tout cela dans un bouquin!! :prrrt:
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Carlo
22 Déc 2017, 00:50

In-dis-pen-sa-ble !!!! 8-)
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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard Bayle
22 Déc 2017, 19:28

Bonsoir,

Enfin, le bout du tunnel !

Avec ce montage des nouveaux réservoirs structuraux, 3 types de membranes furent testés.
La membrane, à l’instar d’un pneu d’automobile, est confectionnée par des couches en fibres polyamide : les couches tissées sont positionnées par couples adjacents en inclinaisons opposées. Le tout est ensuite enrobé de caoutchouc.
Nous avons essayé des membranes à 6 couches, 4 couches et 2 couches. Bien sûr, moins il y a de couples de couches, plus la membrane est souple. Le manufacturier Continental© ne souhaitait pas que nous installions des membranes à 2 couches par crainte d’explosion de celles-ci. Nous les avons quand même montées et essayées. Afin de dissiper le doute en cas de destruction de la membrane, nous avons roulé avec deux bogies dont les suspensions n’étaient pas gonflées : dans ce cas, à 300 km/h, le confort vertical n’était pas vraiment bon, le confort transversal acceptable mais la sécurité des circulations était entièrement préservée. A ce sujet, il me semble qu'en cas de rupture d'une membrane, la vitesse du train doit être limitée, et qu'en même temps, je n'ai jamais eu vent de ce type d'incident… In fine, les membranes 4 couches donnant satisfaction, ce sont elles qui furent et sont toujours montées en série.

Autant le confort transversal est bon avec une grande souplesse de la suspension dans cette direction, autant il devient désagréable lorsque la caisse vient écraser les butées transversales lors de fortes accélérations et notamment sous l’effet de la force centrifuge dans le passage en courbes avec fortes insuffisances de dévers. Il avait donc fallu imaginer un dispositif créant une souplesse décroissante lorsque les déplacements transversaux atteignent ± 25 millimètres entre la caisse et le bogie, sachant que le jeu libre entre caisse et bogie est de ± 50 millimètres, avec en plus 30 millimètres d'écrasement des butées en caoutchouc. Pour cela, Jean-Claude Rudeaux (du Département des bogies) et les services de la station d’essais de Vitry ont défini des "jupes" dont la mise au point du profil a nécessité de nombreuses adaptations à partir de modèles en bois. La suspension SR 10 était née (SR10 pour suspension rame 10). Il ne restait plus qu’à l’adapter aux bogies moteurs extrêmes, identique aux bogies intermédiaires, mais avec un réservoir additionnel de plus faible capacité (de l'ordre de 50 litres). Ainsi, le TGV Atlantique pouvait naitre sous de bons augures et le confort des 107 TGV PSE a pu être considérablement amélioré par une grande opération de rétrofit, dès 1985.

Mais avant une application de série aux TGV PSE et TGV A, il a fallu régler un dossier technico-économique d’importance. En effet un réservoir normalisé nécessite une dépose pour une épreuve de pression tous les 20 ans, associée à une auscultation endoscopique des cordons de soudure par échantillonnage. En revanche, les réservoirs structuraux, satisfaisants au confort global du TGV, auraient dû subir les mêmes tests tous les 3 ans, opérations dont on imagine les coûts de maintenance (immobilisation des rames en particulier). Pour obtenir leur homologation à 20 ans, Jean-Claude a consacré environ quatre cents heures pour l’établissement d'un épais dossier technique. Celui-ci a été soumis à l’approbation du service des Mines en collaboration avec les experts en réservoirs d’air du Département des caisses et structures. Il est à noter que les dessins constituant les études consacrées à la suspension SR10 sont l’entière propriété de la SNCF et qu’aucun industriel n’a été autorisé à les renuméroter pour sa propre utilisation.

Le passage du prototypage à la version industrielle implique toujours la prise en compte de la sécurité, la fiabilité et la pérennité des solutions techniques. L’application de barres de torsion antiroulis aux bogies du TGV PSE a nécessité l’adjonction d’attaches de bielles sous les anneaux et de paliers des barres de torsion sous les châssis de bogies. Autant le soudage des attaches de bielles sous les anneaux porteurs ne posait aucun problème, autant il n’était pas pensable de souder des platines sur les châssis de bogies pour le montage des paliers des barres de torsion, notamment dans des zones "tendues". A cette époque, les méthodes et les moyens de calcul par "éléments finis" n'en étaient qu'à leurs balbutiements, de même que la technique des recuits localisés n’était pas totalement maitrisée. Afin de ne prendre aucun risque, les paliers ont été montés par un système de 4 tirants et d’une platine enserrant la traverse centrale du bogie. Avant la pose des tirants, le montage est précontraint par un vérin : ainsi leur boulonnage est bien équilibré avant le relâchement de l’effort du vérin. Cette solution, à priori apparentée à un élégant bricolage, s’est finalement avérée fiable et satisfaisante depuis presque un tiers de siècle. Bien sûr, les bogies des TGV A, et suivants, ont reçu les platinages idoines à leur construction avant le recuit de stabilisation du châssis.









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Re: un métier: cheminot

Messagepar Bernard Bayle
24 Déc 2017, 09:02

Bonjour,

Épilogue

En résumé, le confort des TGV (celui-ci varie légèrement avec l’état de la voie et des tables de roulement des roues) se situe à 300 km/h :
- en vertical entre 22 et 25 heures.
- en transversal entre 12 et 15 heures, passant à 18 heures à 220 km/h et à 25 heures à 160 km/h.
A titre de comparaison, la voiture Corail (référence incontestée en la matière) affiche un confort de 25 /26 heures en vertical à 160 km/h et d’une vingtaine d’heures à 200 km/h. Par contre le confort de la voiture Corail est toujours faible en transversal : de l’ordre de 8/10 heures à 160 km/h, il chute sensiblement à 200 km/h (autour de 5/6 heures) et ces notes ne sont même pas imaginables à 300 km/h. Pour en être convaincu, une rame TGV PSE a tracté une voiture Corail à 260 km/h : mon collègue qui avait fait le voyage à bord m'a dit : "j'ai vraiment été content d'en descendre"…

A compter de cette épopée sur les suspensions secondaires des TGV, la SNCF ne commandera plus que des matériels à voyageurs dotés de suspensions pneumatiques dont nous venons de décrire les vertus. Comme nous l’avons vu pour les TGV postaux, cette suspension est insensible à l’état de charge du véhicule : c’est donc un atout supplémentaire pour faciliter l’accès à bord des trains aux PMR (personnes à mobilité réduite). Ainsi les lacunes verticales à combler entre le quai et le véhicule sont d’amplitude bien moindre.

En qualité de Chef de projet TGV A, François Lacôte fut un des artisans majeurs du record à 515,3 km/h, le 18 mai 1990. Le Directeur du Matériel, Roger Forray, ayant fait valoir ses droits à la retraite, c'est lui qui l'a remplacé dans ce poste en juillet de la même année. A cette époque, j'avais quitté le BE des caisses TGV et j'étais en poste au pôle communication. François Lacôte m'avait sollicité pour que je lui vienne en soutien pour la préparation des documents techniques dont il aurait besoin. Un jour, il m'avait convoqué à son bureau et m'avait présenté à un haut responsable de chez Alsthom en déclarant: "je vous présente B.B. à qui la SNCF doit beaucoup pour le confort des TGV". Le genre de commentaire qui fait toujours plaisir à entendre, même si au fond je n'avais fait que mon boulot...Au cours d'un des échanges que nous avions eus, il m’avait confié que les trois années consacrées à la recherche du confort à grande vitesse (hors TGV postal) avaient couté le prix d’une rame TGV ! Il est clair que ramené au seul TGV PSE, cela représente à peine 1% du projet auquel on peut ajouter 2% supplémentaires pour la grande opération de substitution des suspensions. De nos jours, bon nombre se féliciteraient d'un dépassement de seulement 3% de l'enveloppe.

Et puis, quel qu’en fut le coût, cette suspension SR10 a été appliquée à quelques 700 rames TGV (rames export incluses), voire 750 rames si l’on considère les TMST (Eurostar) et KTX 1 comme des rames doubles, a roulé à 515,3 km/h, puis à 574,8 km/h et les 25 rames AGV commandées en ont également été dotées. Le voyageur est-il sensible aux vertus de la chaine de traction, au captage du courant piloté par informatique et à toutes les innombrables prouesses techniques du TGV ? Je pense que non. Par contre, vis-à-vis du confort, la réponse est immanquablement : oui. Il m’est fréquent, lorsque je voyage en TGV, d’observer les voyageurs qu’ils soient accaparés par un casse-croute, un ordinateur portable, une conversation avec le voisin ou le compagnon de voyage, plongés dans la lecture ou dans un petit roupillon, tous ont une attitude insouciante bercée par le confort de ces rames. Parfois, il m’arrive d’en trouver une "un poil vibrotante", me disant qu’avec un petit réglage ou qu'un reprofilage des essieux ne serait que profitable ; mais au fond ne suis-je pas trop exigeant par excès ?

Après avoir quitté la SNCF, François Lacôte était devenu le Directeur Technique d'Alstom Transport. Lorsqu'en 2007/8 il m'avait embauché pour le projet SAS-VH (voir page 27 du forum), il m'avait présenté la rame AGV :
FL : c'est une rame entièrement articulée, à motorisation répartie et …. toujours la même suspension ! (sic, la SR10 des TGV PSE).
2B : les bogies et leurs boites d'essieux ressemblent fortement à ceux du TGV PSE !
FL : que voulez-vous, on n'a jamais rien fait de mieux…







Bon réveillon et joyeux Noël à toutes et tous.
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