Bonjour,
La liaison caisse/bogie, dans sa plus simple architecture et hormis les timoneries de freinage, est en général constituée par un pivot autour duquel le bogie tourne et des lisoirs sur lesquels s’appuie la caisse par l’intermédiaire d’une traverse qui repose sur un étage de suspension. Avec l’accroissement des vitesses et la sophistication des bogies, il est apparu nécessaire d’amortir les mouvements entre la caisse et les bogies afin d’accroitre le confort et la stabilité de marche. A l’origine les amortisseurs étaient à friction alors que rapidement l’amortisseur hydraulique s’est imposé.
La figure ci-dessous - le schéma de l’articulation des remorques TGV - illustre l’emplacement et la terminologie utilisés pour l'essentiel des amortisseurs assurant les liaisons caisse-bogie. Les amortisseurs anti-galop ne concernent que le bogie : leur rôle est d’amortir le galop de la boite d’essieu. L'amortisseur anti-gîte ne concerne que les caisses entre-elles. Quant aux autres, ils assurent l'amortissement des mouvements relatifs entre la caisse et le(s) bogie(s). Si ces organes offrent l'avantage d'amortir les déplacements entre les éléments qu'ils relient, ils ont l'inconvénient de se comporter en "shunts vibratoires", le bogie étant le générateur des vibrations. Les amortisseurs sont parfois appelés à tort "vérins". En effet, un vérin est une pièce active alors que l’amortisseur est une pièce passive : on doit donc dire un amortisseur antilacet et non pas un "vérin antilacet".
principe de l'articulation et de la suspension des remorques "TGV PSE".
Lorsque nous avions repris les études pour l'amélioration du confort vibratoire des TGV, nous menions de front deux formules distinctes : l'application d'une suspension pneumatique à une rame TGV PSE de série (la rame n°10 en l'occurrence) et le TGV 001 démotorisé sur suspensions métalliques. Ces deux rames, de type articulé, se caractérisent par :
- tous TGV de série : avec une liaison entre caisses constituée de deux anneaux reliés par une rotule dont seul l'anneau porteur repose sur la suspension secondaire (voir schéma ci-dessus). Autrement dit, chaque remorque repose à une extrémité sur une suspension et à l'autre sur une rotule. La rotule, qui porte la charge d'une extrémité, assure aussi les déplacements angulaires et la fonction choc et traction. Cette disposition commence depuis les remorques extrêmes pour se rejoindre vers le centre, à la remorque R4, qui constitue la "clé mécanique" de la rame. La remorque R4 repose donc sur 4 ressorts par l'intermédiaire de deux anneaux porteurs. (les TGV TMST et Duplex n'ont pas d'anneaux mais des structures rapportées sur les dossiers de caisse, le principe énoncé ci-dessus restant évidemment le même). Nous avons tous en tête les vertus de la rame articulée, par contre les rotules de liaison entre remorques se comportent également en transmetteurs de vibrations, créant ainsi un mode vibratoire complexe de l'ensemble du tronçon articulé. C'est ce que nous appelions "l'effet de rame".
- le TGV 001 démotorisé : afin de s'affranchir de l'effet de rame, nous avions opté pour un découplage total des caisses où chaque véhicule avait été doté d'un anneau de type porteur à ses deux extrémités. Ainsi, chaque remorque reposait sur 4 ressorts dont la suspension était indépendante des véhicules adjacents. La fonction choc et traction était réalisée par une barre d'attelage identique à celle des voitures RIB. L'intercirculation était assurée par un anneau articulé sur la coquille de fermeture de la barre d'attelage et reliée par deux soufflets de type TGV se série.
Afin de rationaliser les marches d'essais, c'était la rame TGV PSE n°10 qui tractait le TGV 001. Elle avait été "boostée" pour tracter le TGV 001 jusqu'à 320 km/h sur la LGV Paris-Lyon.
Claude Moreau était un ancien de la DETE, proche collaborateur de Fernand Nouvion, puis était parti au Département des essais, pour revenir au Département Construction en qualité de Chef des essais des TGV PSE. C'est donc sous son commandement que j'avais été chef de bord des rames "Patrick et Sophie". Un jour, il nous a rendu visite sur une circulation TGV n°10/001. Attendu que les résultats étaient encourageants à défaut d'être satisfaisants, il m'avait dit : "vous savez, le bogie fait ce qu'il veut dans la voie" !
Dans la voiture labo, il y avait une chaine de mesures dont les enregistreurs crachaient des dizaines de mètres de papier relevant les niveaux vibratoires de plusieurs éléments. Certes, les amplitudes des oscillations permettaient d’apprécier ces divers niveaux, mais j’avoue que j’étais un peu hermétique à tous ces enregistrements. Alors, un jour, je m'étais décidé à aller voir d’un peu plus près le comportement d’un de ces bogies. Il m’avait suffi de relever les passerelles d’intercirculation, de déposer un plancher de l’un des anneaux et de déconnecter la base d’un soufflet. J’avais donc vue sur la barre d’attelage et juste en-dessous se trouvait le châssis de bogie. M’étant allongé à plat ventre dans l’intercirculation, j’avais réussi à poser la main sur le bogie en tendant le bras. Outre le vacarme du au roulement, je peux vous dire qu’un bogie de 8 tonnes ça dégage une énergie certaine dans ses mouvements….
Articulation du TGV 001 démotorisé (à gauche une ex-motrice, à droite la remorque labo). L’assemblage n’est pas totalement terminé. Au, centre on distingue l’anneau d’intercirculation et son articulation basse sur la coquille d’assemblage de la barre d’attelage. Les soufflets reliant cet anneau central aux caisses et les palettes d’intercirculation ne sont pas encore installés. C’est en démontant tout ça en partie basse que j’avais pu accéder au bogie en ligne et à grande vitesse…
Ceci dit, la stabilité d’un bogie TGV est remarquable, il suffit de regarder la trace de la fine bande de roulement sur le champignon du rail…
Les rames TGV PSE ont toutes été livrées avec des suspensions métalliques. Plusieurs types de ressorts (pour les bogies articulés) ont été essayés avec des raideurs différentes et avec apport de sommiers caoutchouc. Aucun d’entre eux n’avait donné satisfaction, au mieux on pouvait parler du "moins mauvais".
Quant au TGV 001, sa suspension métallique était un peu meilleure que celle des TGV PSE d'origine. Une version de suspension pneumatique avait également été testée qui avait donné d’excellents, voire inouïs, résultats obtenus avec des bogies équipés de roues à profil neuf. Par contre, avec des roues à profil fortement usé, la rame était devenue instable à grande vitesse, ce qui a donné le coup d’arrêt à la formule des caisses indépendantes sur un même bogie. De plus, cette solution aurait forcément été plus couteuse en maintenance.
Tous les efforts pour l'amélioration du confort des rames TGV se sont concentrés sur la rame TGV n°10. La solution a consisté à définir la membrane pneumatique optimisée associée à son réservoir d'air et à supprimer le plus grand nombre d'amortisseurs reliant la caisse et le bogie, en particulier les amortisseurs transversaux et verticaux, supprimant de fait leur rôle néfaste de "shunts vibratoires". Les fonctions de ces amortisseurs, néanmoins essentielles au confort, ont été remplacées par celles d'amortisseurs longitudinaux caisse/caisse qui amortissent les mouvements des caisses entre elles et laissent "faire le bogie ce qu'il veut dans la voie". Seuls les amortisseurs antilacet ont été conservés car ils sont les garants de la stabilité du bogie à très grande vitesse et les amortisseurs anti-gite reliant les caisses entre elles en partie haute.
Principe de la suspension pneumatique SR10 (pour suspension rame 10).
UTKR.
PS : quelle tristesse et sincères condoléances pour les victimes du déraillement (encore inexpliqué) du TGV d'essais en Alsace.