Poursuivons donc:
La première ligne exploitée en courant triphasé qui fût ouverte au public, fut celle construite par BBC (Brown, Boveri et Cie) pour les tramways de Lugano (Suisse). Longue de 4,9 km, la ligne était alimentée en 400 V 40 Hz. La caténaire était du type double disposée parallèlement au dessus de la voie, assez proche de celles des trolleybus.
BBC livra également en 1897 une machine de 66 kW pour le Gornergratbahn et, en 1899, les deux premières machines de ligne triphasée pour la ligne de montagne joignant Burgdorf à Thun (BTB), toujours en Suisse. Ces machines, alimentées en 750 V 42 Hz, pesaient 30t et étaient équipées de deux moteurs à 16 pôles de 110 kW leur permettant d’atteindre les 36 km/h. Elles ont été préservées et se trouvent pour l’une au Deutsches Museum de Munich et pour l’autre au musée suisse des transports de Lucerne.
Sous l’influence décisive de Koloman Kandó, les usines Ganz et Cie de Budapest se lancèrent également dans la conception de matériel roulant triphasé. Après des études menées entre 1896 et 1899 et sur la base de l’expérimentation menée à Evian, cette société mit en place la ligne de 106 km entre Lecco – Colico – Sondrino/Chiavenna en Italie du Nord, ligne connue comme « chemin de fer de la Valteline ». Elle était électrifiée en courant triphasé de 3,3 kV 16 2/3 Hz. La ligne fut inaugurée le 4 septembre 1902 et exploitée par deux locomotives Bo+Bo (deux unités de deux essieux moteurs fixés au cadre).
Une troisième machine vint les rejoindre à la fin de l’année ainsi que dix autorails.
Immatriculées 341 à 343 aux FS, les locomotives possédaient un moteur de 110 kW par essieu. Le couple moteur était transmis aux roues au moyen d’une commande par arbre creux.
Précédemment, Ganz et Cie avaient livré une locomotive électrique à quatre essieux à la fabrique impériale de munitions de Wöllersdorf (Autriche). Mise en service début 1902, c’était la première locomotive à haute tension triphasée mise en service régulier.
Enfin, le chemin de fer de la Valteline commanda encore dix locomotives triphasées à la distribution d’essieux 1’C1’.
Les résultats d’exploitation de la ligne de la Valteline étaient excellents. Cela mena, avant la première guerre mondiale, les chemins de fer italiens à faire de l’électrification triphasée 3,3 kV 16 2/3 Hz leur standard d’équipement pour les autres lignes à construire. Ils suivirent dans cette voie les recommandations appuyées de R. Bianchi, premier directeur général des FS. Sa détermination à promouvoir l’usage du triphasé était telle que les essais menés en courant monophasé sur la ligne Turin – Pinerolo ne connurent aucune suite.
Il en résulta qu’à la fin des années vingt du siècle dernier, favorisé par la pénurie de charbon consécutive à la guerre, un réseau de chemin de fer électrifié en courant triphasé long de 2100 km s’était développé en Piémont et en Ligurie, au nord de Florence, Bologne et Livourne.
Ce développement s’arrêta cependant là. A la fin des années vingt, les FS entreprirent de poursuivre l’électrification de leur réseau en 3000 V continu. Cette volte face ne mit cependant pas fin aux recherches en cours pour l’électrification en triphasé 10 kV 45 Hz de la ligne Rome – Sulmona. A cet effet, les FS commandèrent cinq locomotives 1’D1’ formant la série E 470/472 et quatre formant la série E 570. Une machine supplémentaire, équipée d’un convertisseur Kandó, classée E 471, fut conçue pour être compatible avec les deux types de courant triphasé italiens. Elle fut de ce fait la première locomotive bi-fréquences au monde. Mais sa construction ne fut pas poursuivie.
Les locomotives triphasées de 10 kV ne présentant pas d’avantages particuliers par rapport aux machines à courant continu et les lignes caténaires étant plus complexes, ce développement ne fut pas poursuivi. Une seule ligne triphasée fut encore équipée en 1939 sur le Brenner entre Trente, Bolzano/Bozen et Merano. A la même époque, la conversion vers le courant continu des lignes triphasée existantes était déjà bien avancée. Les deux dernières lignes triphasées italiennes – Acqui Terme – Alessandria et San Giuseppe di Cairo – Nizza en arrêtèrent l’exploitation le 25 mai 1976.