Le blabla de la semaine...
Tiroirs sans caisse
Il a souvent été question de tiroirs au cours de ces discussions, et en particulier de tiroirs de manœuvre. On peut donc supposer que tout le monde sait ce qu’est un tiroir. Mais est-ce bien sûr ? A la base un tiroir est une voie en impasse, c’est-à-dire se terminant par un heurtoir. Pourquoi ne dit-on pas alors voie de garage ? Cela semble bien être la même chose. Quelle est la différence ? (La question m’a réellement été posée il y très peu de temps par un ami en général peu porté sur la chose ferroviaire). La réponse simple est qu’une « voie de garage » sert à « garer » le matériel roulant alors qu’une voie en tiroir, ou plus simplement tiroir, a d’autres fonctions et doit en principe rester toujours libre (il y a bien sûr des exceptions, comme toujours...)
On distingue deux fonctions auxquelles peut être affecté un tiroir, et donc deux types de tiroirs distincts (mais qui, à l’occasion, peuvent être combinées) : le tiroir de manœuvre, bien connu, et le tiroir de sécurité, souvent moins bien connu. Pour bien comprendre la nuance je vous propose de reprendre, avec quelques petites adaptations, le schéma que j’avais gribouillé récemment pour illustrer une voie mère.
De quel type de tiroir est la voie marquée T sur ce schéma ? D’après la description que j’en avais fait il s’agit d’un tiroir de manœuvre. Toutefois pour bien remplir ce rôle il doit être allongé sinon les manœuvres risquent d’être acrobatiques. Imaginez qu’il faille livrer le tout dernier wagon sur l’embranchement où se trouve déjà le wagon vert ? Cela signifie que le train complet devra être tiré au-delà de l’aiguille 3. Et si le tiroir T n’est pas assez long la seule possibilité sera d’utiliser la voie principale par les aiguilles 2 et 1. On ne veut pas de ça !
Une autre possibilité serait d’augmenter la distance entre les aiguilles 2 et 3. Si notre train peut tenir entre ces deux aiguilles tout rentre dans l’ordre. Nous pouvons même faire l’économie du tiroir T, de l’aiguille 2, du heurtoir… Pas si vite ! Car c’est ici qu’intervient la deuxième fonction d’un tiroir : protéger l’accès à la voie principale et empêcher toute incursion sur celle-ci lors des manœuvres. Dans cette configuration, d’une part les aiguilles 1 et 2 seront toujours manœuvrées de concert pour donner en même temps soit deux voies directes, soit une voie déviée empruntant le raccordement entre la voie mère et la voie principale, d’autre part la longueur du tiroir T n’a plus aucune importance et il peut être très court. (Nous en verrons des exemples plus loin).
Dans bien des cas il peut être intéressant de combiner ces deux fonctions, en particulier lorsque la fonction « manœuvre » se limite aux déplacements d’une locomotive (voire un locotracteur), par exemple pour contourner une rame lorsqu’un train doit effectuer un rebroussement. La photo suivante, prise dans la zone d’activités de Vovray, un quartier d’Annecy, montre un tiroir ayant (eu, lors de jours meilleurs) ces deux fonctions : protéger la sortie du petit faisceau et éviter tout débordement sur le passage à niveau à sa sortie (fonction de sécurité) ; mais aussi permettre à une petite loco de franchir la traversée jonction double qu’on aperçoit au second plan et ainsi contourner une rame éventuellement garée sur l’une des deux voies du faisceau (fonction de manœuvre).
La combinaison de ces deux fonctions peut être très intéressante sur votre réseau. Je l’ai d’ailleurs appliquée sur le mien comme le montre la photo suivante avec un tiroir (au milieu en haut de la photo) protégeant la voie principale sur laquelle circule un train transportant du bois mais étant assez long pour permettre à une loco de s’y glisser quelques instants lors d’une manœuvre. Un train sur quatre environ effectue un rebroussement dans cette gare de bifurcation et la fonction manœuvre de ce tiroir est donc très sollicitée.
Pour illustrer un tiroir de sécurité pure je vous propose une photo de l’extrémité de la gare de Rouen Rive Droite. Le court bout de voie sur la gauche (bien trop court pour y garer quoi que ce soit) a pour seul but d’empêcher à tout convoi l’accès au tunnel sans autorisation. Un train trop entreprenant sera automatiquement et brutalement arrêté par la paroi verticale.
Mais il n’y a pas que dans les grandes gares comme celle de Rouen RD que ces tiroirs de sécurité sont utilisés. On les trouve tout autant dans de petites gares et même en pleine voie. Un cas particulier est celui d’une ligne à double voie avec une voie d’évitement centrale, accessible à ses deux extrémités depuis les deux voies principales, comme le montre le schéma suivant.
De telles installations sont courantes et les deux tiroirs de sécurité, un à chaque extrémité, sont de rigueur. Par exemple la gare de Nissan-les-Ensérune (entre Narbonne et Béziers), aux abords de laquelle j’ai habité plus de deux ans, avait dans ses grandes lignes ce type de configuration. Cette voie d’évitement était utilisée à l’occasion pour garer un train de marchandises, le temps de laisser passer un rapide prioritaire. Si vous avez une section de parade à double voie, sur votre réseau, et si elle est assez longue, l’addition d’une telle troisième voie d’évitement peut être très intéressante, permettant de reproduire ces situations où un express impatient menace de rattraper un train de marchandises poussif et où ce dernier est alors retiré de la trajectoire de l’express pour être arrêté sur la voie d’évitement. Spectacle garanti, mais surtout n’oubliez pas les tiroirs de sécurité !
C’est d’ailleurs un principe qu’on rencontre en dehors de l’hexagone comme le montre une dernière photo, prise en gare de Monterosso, en Italie. Son plan de voie correspond exactement au schéma ci-dessus et l’extrémité qu’on voit, côté La Spezia (vers laquelle repart le train qui disparait dans le tunnel), dispose de ce fameux tiroir de sécurité. Ici encore, plus qu’à Rouen, il est bien trop court pour pouvoir espérer faire la moindre manœuvre. Avec ce tiroir tout train rebelle refusant de s’arrêter sur la voie d’évitement centrale ira droit dans le mur !
Pour être complet il faudrait mentionner un troisième emploi des tiroirs : le stationnement temporaire d’une loco avant sa mise en tête d’une rame. Mais j’y reviendrai plus en détail lorsque j’aborderai certains types de manœuvres, notamment sur les trains de voyageurs.
bw