par KM 506
25 Mar 2017, 18:03
Bonjour,
Perrache vs Brotteaux ou ailleurs, où implanter la gare ?
En 1845, ce débat passionne. J’ai cité dans mon précédent message le mémoire de Louis Bonnardet sur ce sujet, mémoire lu le 20 septembre 1845 à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon. Je vais le citer à nouveau pour essayer de mieux comprendre les enjeux de ce choix à l’époque.
D’abord une première phrase pour se mettre dans l’ambiance :
« Quand je me place au point de vue de MM. les ingénieurs, je trouve que MM. les ingénieurs ont raison ; quand je me place au point de vue de Perrache, je trouve que Perrache a raison ; quand je me place au point de vue des Brotteaux, je trouve que les Brotteaux ont raison ; mais quand je me place au point de vue lyonnais, je trouve que tout le monde a tort. »
Toujours pour se mettre dans l’ambiance, un autre extrait :
« Il y avait là deux questions à trancher. La question principale et la question subsidiaire, ou accessoire. Ces questions consistaient à savoir: l'une, si Lyon serait traversé, l'autre, par où, et comment.
La première, à ce qu'il parait, ne nous regardait pas. Nul, à Lyon, n'a été appelé à en délibérer ; elle n'a été posée ni au Conseil municipal, ni à personne.
[…] Il n'en a pas été de même de la seconde. Là-dessus le gouvernement a bien voulu nous demander ce que nous en pensions. Les nobles condamnés avaient autrefois le choix du supplice; on nous accorde le même honneur! »
Louis Bonnardet s’inquiétait de l’établissement d’un chemin de fer qui relierait l’océan à la Méditerranée en traversant la ville de Lyon sans rupture de charge. Selon lui, cette absence de rupture de charge allait conduire inévitablement à la ruine d’une ville vivant d’affaires et de commerce comme Lyon.
« En ce moment, Lyon se partage avec Paris l'entrepôt intérieur. Ces deux villes sont, s'il est permis de parler de la sorte, les deux grands ports de terre ferme de la France. On expédie à Lyon tout ce que le Nord envoie au Midi, et tout ce que le Midi envoie au Nord; tout ce qui arrive de l'Italie, de la Suisse et des provinces Rhénanes; enfin tout ce que la France dirige, en échange, sur ces contrées. Ce mouvement de marchandises venant prendre, les unes la voie du Rhône, les autres celle de la Saône et des canaux ou des routes qui y aboutissent de toutes les parties de la France et de l'étranger, amène, comme conséquence, un mouvement proportionnel de voyageurs.
Aussi, ces fleuves nourriciers formant avec les canaux auxquels ils se lient, cette longue et féconde artère fluviale qui unit les deux mers sur notre sein, ont-ils fait de notre ville un lieu obligé de dépôt, de triage et d'expédition; une foire sans fin, un bazar perpétuel.
Lyon doit donc à sa situation exceptionnelle son entrepôt, et, par suite, son commerce et sa fabrique, car tout se tient et se lie dans l'engrenage commercial, où chaque rouage fonctionne tour à tour, comme cause et effet. C'est dire que Lyon tout entier est dans sa situation; supprimez les bénéfices de cette situation, et vous supprimez Lyon; vous lui enlevez, je l'ai dit ailleurs, sa raison d'être et l'unique fondement de sa prospérité; c'est Versailles sans la royauté, Marseille sans la mer, c'est-à-dire un effet sans cause. Voulez-vous donc que l'édifice se tienne debout, quand vous en aurez détruit la fondation ? »
[...]
« Or, comme tout avait été arrangé, routes, rivières, établissements, pour que tout s'arrêtât à Lyon, voyageurs et marchandises ; tout s'y arrêtait.
Comme on veut, au contraire, tout combiner pour que rien ne s'y arrête, ni marchandises ni voyageurs ; rien ne s'y arrêtera.
Je ne crois pas qu'il y ait, sous le ciel, quelque chose de plus évident. »
L’auteur prônait la création de deux terminus à Lyon, l’un au Nord et l’autre au Sud. On le sait, l’histoire lui a donné tort, la traversée continue de Lyon par le chemin de fer n'a pas fait mourir la ville. Bon, les propos de l’auteur sont clairs, nul besoin d’en rajouter, sauf pour apprécier le style littéraire de l’extrait suivant :
« Fait avec des routes d'eau et des routes de terre qui convergeaient sur lui et en faisaient un centre, on veut le défaire avec des routes de fer qui le traverseront et en feront un passage. Cela est bien clair et le nier ce serait nier la lumière. On ne produit pas des faits analogues avec des causes contraires. Ce n'est plus la barque, c'est le wagon désormais qui marquera l'emplacement des cités, a dit le savant rapporteur de la Commission d'enquête. C'est vrai; le wagon doit détruire ce que la barque avait créé, et Lyon est dans ce cas. »
Pour le plaisir toujours, un autre extrait délicieux :
« Il s'ensuivra que l'herbe croîtra dans nos rues, et qu'un jour on nous retrouvera couverts du sable et du limon de nos fleuves, qui cacheront aux siècles à venir la honte que notre génération portera au front pour avoir laissé périr, pleine de sève et de puissance, l'une des plus anciennes et des plus illustres villes de France ».
Allez, trêve de poésie, dans mon prochain message j’aborderai la comparaison des sites d’implantation de la gare, en se replongeant encore dans l’ambiance de l’époque.
A suivre…